Lu cette semaine un petit livre magnifique d'Alexis Jenni, prix Goncourt 2011 pour L'art français de la guerre et dont j'apprécie souvent les essais. Dans Prendre la parole (aux éditions du Sonneur, 2019), il raconte comment, enfant "muet, bègue puis embarrassé", il a conquis la parole et / par l'écriture. Ce qu'il dit du geste d'écrire (ici grâce à une vieille machine à écrire) est une pure merveille :
"... c'était comme si je marchais sans me presser, comme si je parlais phrase après phrase, et un texte progressivement se déployait grâce au rythme, grâce aux chocs, grâce aux coups. J'avançais dans le non-encore-dit, je marchais lentement dans le vide sans aucune appréhension, et le chemin apparaissait à temps sous mes pas. J'avançais au-dessus de rien, et au moment où je posais le pied je sentais le contact ferme du sol qui un instant avant n'y était pas. "Quand j'écris, je parviens même à comprendre quelque chose. Je comprends au moment où j'écris, pas au moment précédent", affirme Erri De Luca. Mais écrire c'est toujours ça : dire ce qu'on ne savait pas avant de le dire, c'est pour ça qu'on écrit, c'est même exactement le rôle de l'écriture littéraire. (...) Ce n'est pas l'idée qui tire, c'est la confiance qui pousse, on fait alors le pas en attendant rien, car avant de le faire il n'y a rien, et le faire, c'est trouver ce qui se dit."
Je viens, ce jour, de poser le point final à un manuscrit. L'impression d'avoir bâti un pont au-dessus du vide, d'avoir trouvé un chemin là où je n'en devinais aucun, d'avoir trouvé un trésor sans que j'aie eu l'idée de sa nature... oui : je ne l'avais jamais formulé mais "c'est pour ça qu'on écrit".