jeudi 22 août 2019

Les mots / Guillevic





En somme,
Avec les mots,
C’est comme avec les herbes,
Les chemins, les maisons, tout cela
Que tu vois dans la plaine
Et que tu voudrais prendre.
Il faut les laisser faire,
Par eux se laisser faire,
Ne pas les bousculer, les contrarier,
Mais les apprivoiser en se faisant
Soi-même apprivoiser.
Les laisser parler, mais,
Sans qu’ils se méfient,
Leur faire dire plus qu’ils ne veulent,
Qu’ils ne savent,
De façon à recueillir le plus possible
De vieille sève en eux,
De ce que l’usage du temps
A glissé en eux du concret. 

Guillevic (extrait du recueil Inclus, 1973)

lundi 19 août 2019

Recette / Guillevic


Prenez un toit de vieilles tuiles
un peu avant midi.

Placez tout à côté
un tilleul déjà grand
remué par le vent.

Mettez au-dessus d'eux
un ciel de bleu, lavé
par des nuages blancs.

Laissez-les faire.
Regardez-les.

(Guillevic, Avec, 1966)

vendredi 16 août 2019

Tête-à-tête



Viens encore une fois
Te consacrer caillou
Sur la table dans la lumière
Qui te convient,
Regardons-nous
Comme si c'était
Pour ne jamais finir.
Nous aurons mis dans l'air
De la lenteur qui restera.

(Guillevic, Encoches

(illustration : pour un projet en cours)

 

lundi 12 août 2019

"Ce qui voyage, c'est comme le ciel" / J.-Cl. Pirotte

     "Bien entendu, par la force des choses, il m'est arrivé de-ci de-là de participer à l'agitation générale. Il faut bien vivre paraît-il. Je l'avoue sans honte, j'ai même été jusqu'à gagner de l'argent. Mais j'ai beau faire, toute cette cuisine n'a jamais réussi à m'intéresser. Je dois souffrir d'un manque, être affligé d'un trou quelque part, si j'ose ainsi m'exprimer. Il faut croire qu'il y a malgré tout quelque chose à comprendre que je ne comprendrai jamais. Quand j'écoute au-dedans de moi, ce qui se lève c'est comme le vent, ce qui voyage c'est comme le ciel et parfois la mer (je ne connais pas bien la mer et j'ai toujours eu peur de l'eau), ce qui bouge ce sont des arbres, des lumières, des collines, parfois les mouvements me bercent et parfois ils me bousculent, il y a des soirs où je me sens secoué de petits séismes, et d'autres où des musiques se lovent sous ma peau comme des filles qui glissent dans le sommeil. Je n'accorde en général à ces événements intimes qu'une attention bienveillante mâtinée d'un rien de condescendance attendrie. Je pense que ce sont de légères humeurs, un peu comme des songes de très jeune bébé, des remous d'une mince nostalgie séculaire, et je ne me casse pas la tête.
     Ce n'est pas vrai. Je mens comme un dentiste. Et ma tête, non, impossible de raconter ce qui s'y passe."

Jean-Claude Pirotte,  Un été dans la combe, 1986.


Un homme arrive dans une cabane abandonnée. D'où vient-il ? Est-il malade, fou ou simplement inadapté aux bruits du monde ? Rêve-t-il ou est-il rongé par les souvenirs ?... C'est toute l'âpre et merveilleuse poésie de J.-Cl. Pirotte (1939-2014).


dimanche 4 août 2019

Urgence / Annie Dillard


"Je m'assignai une tâche pour le restant de mes jours : celle de me souvenir de tout, absolument tout, pour combattre l'oubli. Je traverserais l'existence armée d'un filet à plancton. Je saisirais et retiendrais la moindre plaisanterie de mes professeurs, le moindre visage dans la rue, le plus petit mouvement d'algues microscopiques, toutes les conversations, la configuration des feuilles, les rêves, chaque nuage effiloché là-haut dans le ciel...
Certains jours, j'étais taraudée par un sentiment de responsabilité envers le moindre changement de lumière à travers les vitres de la véranda. Qui en garderait la trace ? Qui serait la mémoire de notre temps et du vent, dehors, qui fouettait les branches des marronniers ? Il fallait quelqu'un pour cela, quelqu'un pour défendre becs et ongles tous ces jours qui passaient, sinon le spectacle aurait été donné en vain. Que l'entreprise fut impossible ne m'effleurait même pas. Mais pour ce travail, pour cette tâche, je ne connaissais pas de mot."

Annie Dillard, Une enfance américaine, 1987 (traduction M.-Cl. Chenour et C. Grimal)


Sinon, le spectacle aura été donné en vain...


jeudi 1 août 2019

Parution estivale



Tous les jours l'été vient de paraître aux éditions de la Renarde Rouge. 

Pour en savoir plus, c'est ici. 

Pour en lire une jolie critique, c'est là.