" Comme tout homme venant en ce monde, en ce monde-ci, et y venant tous les jours, j'aurai connu la crainte et l'angoisse qu'inspirent une humanité désorientée, une histoire oublieuse de toute leçon et, désormais, une planète moribonde. J'aurai connu l'ennui, la nuit, le doute. Marcheur invétéré, j'aurai connu le pas à pas des jours difficiles et ténébreux, l'incertitude des matins et la lassitude des soirs. J'aurai connu la solitude, l'abandon, la déception, le désenchantement. l'aurai même connu la terreur sourde qui saisit les entrailles. J'aurai senti la colère et j'aurai appris la méfiance, la force qu'il faut déployer dans l'inévitable combat. Je sais ce qu'il y a dans le cœur de l'homme et, naturellement, ce qu'il y a dans le mien : ma périlleuse candeur ne s'entretient d'aucune naïveté.
J'aurai senti la fatigue et ce je-ne-sais-quoi de vermoulu qui vient dans le corps et tout l'être avec l'âge, et j'avoue ma cécité devant le jour final dont j'ignore s'il précipitera dans un abîme ou s'il découvrira un firmament. Mais au milieu de tout cela, il y a le jardin. Non pas imaginaire, mais réel; non pas hypothétique, mais présent ; non pas conquis, mais donné. Le jardin fait de tâches accomplies, de textes éternels, de prière obscure, de paysages choisis, de silence laborieux, de musique aimée, de choses et d'autres, de chaud au cœur. Le jardin fait, surtout, d'amitié, de douceur et de paix partagée avec tous ceux qui la reçoivent, et la veulent, et la font. Et in terra pax hominibus bonae voluntatis. Et sans doute est-ce ce jardin-là, étonnamment suspendu, que l'on appelle le bonheur."
Paysan de Dieu, Albin Michel 2024.
Une merveille de lecture, une merveille de philosophie, une merveille de récit, une merveille de spiritualité.
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