Dans son très beau Journal pauvre, paru en 2018 aux éditions de La Clé à Molette, l'écrivaine Frédérique Germanaud raconte et met en question son choix de quitter tout travail salarié pour se consacrer à l'écriture. Cette interrogation, qui se pose forcément à celles et ceux qu'habite le désir de création (littéraire, picturale ou autre) me touche profondément et elle y répond avec une franchise et une élégance remarquables.
"Je réfléchis. Expérimenter le dénuement, être attentive à ceux qui vivent de très maigres subsides, à ceux qui ont choisi de ne donner qu'un minimum de leur temps contre salaire, ou de se consacrer à une activité peu rémunératrice. Elle est jardinière, elle est danseuse contemporaine, elle donne des cours de yoga, elle anime des ateliers d'écriture. Oui, des femmes surtout ont fait ces choix, et pas des femmes ayant des maris à revenu. Elles vivent plutôt seules, parfois à la campagne, conduisent de très vieilles voitures qui n'ont ni radio, ni verrouillage centralisé des portes. Malgré le manque d'argent, elles vivent large : amicales, généreuses, créatives, lectrices. Curieuses. Elles se sont volontairement retirées de ce carcan qu'on tente de nous imposer. Je les admire. J'admire leur courage et leur joie de vivre, la qualité de leur choix. Elle est écrivain. Elle cultive des plantes médicinales. Tu tourneras ces exemples en dérision, et je préfère donc ne pas en parler. Trouver des ressources, en soi et au dehors... " (p. 15)
Un livre à lire, donc.
People like that are to be treasured.
RépondreSupprimerI totally agree !
RépondreSupprimerLorsque l'on fait le choix d'explorer nos ressources, de puiser dans nos trésors intérieurs, l'extérieur a beaucoup moins d'importance. On reste libre, n'est-ce pas là une très grande richesse ? On est, on n'essaie pas de paraître. Mercie Anne pour cette proposition de lecture, à tout bientôt, belle journée. brigitte
RépondreSupprimerC'est la vraie richesse, je pense, celle qui ne peut nous être enlevée. Et qui nous ouvre aux autres et au monde, aussi. A condition (et c'est la question que pose ce livre) de réussir à survivre, de ne pas engloutir son énergie dans la survie...
SupprimerToujours trouver l'équilibre.
Bonne journée chère Brigitte.
Merci de me signaler ce livre. J'en avais déjà entendu parler. Beaucoup d'écrivains sont au RSA. Cela ne se dit pas, mais c'est une réalité. La démarche de cet auteur est particulièrement courageuse et montre combien l'engagement pour l'écriture doit être total - je pense à Charles Juliet, par exemple - et être aussi le choix de la liberté.
RépondreSupprimerToutefois, je me pose toujours la question de savoir si pour être un grand écrivain il faut faire ces choix radicaux... Et je pense à tous ceux que je côtoie au quotidien dans mes engagements et qui sont pauvres sans l'avoir choisi.
C'est une question complexe, vraiment complexe. Merci !
Je suis heureuse que ce texte vous parle, Marie. Je ne saurais trop vous en conseiller la lecture. Un livre de glaneuse et de contemplatrice. De guerrière, aussi, qui se bat pour ne pas être une victime.
SupprimerEt une très belle écriture.
Je me pose les mêmes questions que vous, jour après jour.
Belle réflexion, merci, Anne. (Dans l'essai sur Tolstoï que je suis en train de lire, la tension entre son désir de vie simple et le grand confort dans lequel il vivait revient souvent.)
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe vous lis "en sous-marin" depuis un moment déjà, et il fallait un sujet épineux comme celui-ci pour me faire émerger... Pour avoir, en tant qu'enfant, vécu la précarité économique grandissante de parents ouvriers pris dans la tourmente des plans de licenciement, j'attache une importance certaine à la sécurité financière, et je réfute l'idée que l'on serait "plus libre" une fois libéré des contingences matérielles. Certes, on se libère peut-être de devoir son temps à un employeur, mais c'est une liberté bien étriquée quand on n'a pas les moyens de voyager, de s'offrir un minimum de confort, de s'acheter un beau livre ou un bel objet pour le simple plaisir de s'entourer de beauté. Et quand notre art devient la condition de notre survie, est-on libre encore de se laisser guider par l'aspiration profonde qui nous pousse à créer, ou devient-on contraint de produire pour vivre comme n'importe quel ouvrier en usine ?
Entre ce dont on se libère et ce qu'on est libre de faire, il y a une sacré marge - du moins c'est ce que j'ai retenu de l'excellent roman de science-fiction "Les dépossédés" d'Ursula le Guin, sur lequel, il y a bien longtemps, j'ai écrit mon mémoire !
Pour ma part, j'ai fait le choix d'avoir un métier qui me permet de me sentir utile et de gagner correctement ma vie, et d'écrire et de sculpter en plus. Ainsi je me sens totalement libre de créer à ma guise. Si un jour je devais être éditée ou être reconnue en temps qu'artiste, je ferais sans doute le choix de passer à mi-temps, mais je ne me vois pas être un jour capable de lâcher le "filet de sécurité" que représente mon emploi salarié.
Merci beaucoup de cette contribution au débat et de votre témoignage. Pour avoir moi-même une vraie hantise à ne pas être indépendante financièrement, je comprends parfaitement votre point de vue !
SupprimerDepuis que je suis éditée, je n'ai conservé qu'un mi-temps salarié (de prof) qui me permet, précisément, d'avoir un peu de temps libre mais point trop d'angoisses. Et j'ai la chance d'adorer mon métier d'enseignante.
Ce que je trouve violent, c'est ce passage incessant de la création au travail qui fait que jour après jour j'interromps, je diffère, je repousse et ensuite j'ai du mal à reprendre. C'est compliqué. "On coupe sans arrêt le fil", écrit Frédérique Germanaud (qui pour sa part détestait son emploi). Mais pour le moment, je me tiens à ce choix. Et se sentir utile est également une question essentielle.
(je suis une fan absolue d'Ursula Le Guin depuis au moins 30 ans !)
Je suis enseignante aussi (de français) et moi aussi j'aime mon métier et je me sens d'autant plus utile qu'il devient de plus en plus difficile... même si effectivement, entre le travail salarié et la vie de famille (j'ai une fille encore petite), j'ai parfois l'impression que la part la plus essentielle de ma vie n'a de place que dans les interstices ! Et parfois aussi, c'est la fatigue qui l'emporte - enseigner, c'est comme être sur scène, il faut dépenser une énergie phénoménale pour emporter l'adhésion de son public, surtout quand ce sont des ados qui n'ont parfois pas du tout envie d'être là ! Mais mon métier est ma façon d'essayer de mettre en application mes convictions politiques, et ma garantie d'indépendance...
SupprimerSinon, c'est rare les gens en France qui connaissent le Guin... quand j'ai écrit mon mémoire, il n'existait juste aucun appareil critique en français ! Je viens de terminer un roman "d'ethno-fiction" qui doit beaucoup à son influence, je suis ravie de savoir que, s'il est édité un jour, j'aurais peut-être au moins une lectrice !
Vous avez tout à fait raison.
SupprimerEt comptez sur moi pour vous lire, le jour où...
;-)