samedi 2 octobre 2021

Frugalité (suite)

 En écho au texte de Frédérique Germanaud proposé il y a quelques jours et qui a suscité de riches échanges sur ce blog et par courriel, je reçois d'Odile ce beau texte de Joël Vernet, extrait de Carnets du lent chemin, copeaux

"Plus tard, de manière insidieuse, la vie a de nouveau basculé dans le monde actuel. Le monde que nous connaissons, tel qu’il est devenu et tel qu’il promet d’être ou de devenir, ouvert sur le culte de l’argent-roi, sur le pouvoir absolu et aveugle des gouvernants de nos pays. Le consumérisme, la mondialisation et la barbarie font horreur au poète. Qui en appelle à l’insurrection. Étranger se sent-il. Depuis les origines. En marge d’une société qu’il voue aux gémonies. Et davantage encore depuis qu’une frénésie compulsive s’est emparée de l’humanité, la conduisant droit au désastre.

 

Que faire lorsque l’on s’est exilé en soi-même, sinon retourner à l’essentiel ? Renouer avec le ciel et les nuages. Avec « la beauté primitive du monde ». Avec le bestiaire amical et paisible qui anime le jardin. Merles noirs, mésanges et rouges-gorges. Sauterelles et lézards. Escargots et lucioles. Et toujours revenir vers la maison natale qui l’attend, lui le vagabond, le nomade, le gitan ; la maison immobile, inchangée, chargée de présences et de souvenirs. Gardée par la mère qui jamais ne sait quand son fils va revenir. « Tu n’as jamais été là pour tes jours d’anniversaire, toujours à l’étranger, loin de nous », lui dit-elle lorsqu’il surgit à l’improviste.

 

Et, qui va de pair avec l’errance du poète, l’écriture. Nourrie de ces autres vagabondages que sont les lectures. Une écriture vitale, qui tient le poète au corps et au cœur. Fidèle à son être, consubstantielle à son existence. Écriture de la vie, dégagée de toute mainmise, de toute superficialité, de toute ambition personnelle, de tout calcul, de toute richesse. De toute recherche. Écriture du regard, du fragile et du minuscule. Écriture tissée de silence et de solitude. Plus de cinq cents pages d’une écriture vivante pour dire ce qui happe ce qui taraude ce qui révolte ce qui hante jusqu’à l’angoisse et jusqu’au désespoir. Pour dire aussi les joies modestes qui soignent et qui apaisent."

 

4 commentaires:

  1. Quel beau texte ! J'avais entendu parler de ce livre. Toutefois, je n'utiliserais pas pour moi-même qui vit très en retrait cette expression d'exil "en soi-même" car l'exil évoque une perte cruelle, celui de l'attachement à une langue, une culture, une famille, etc.
    Bonne journée, chère Anne.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'étais sûre que ce texte vous parlerait, chère Marie. Bonne journée à vous, dans la "beauté primitive du monde".

      Supprimer
  2. L'autre jour, ou plutôt l'autre nuit que le sommeil me fuyait, j'ai écrit ce poème, dont je trouve qu'il fait étrangement écho, (ou contrepoint ?) au texte de M. Vernet :

    Sur la mer sans étoiles où mes rêves se noient,
    les ressacs oh toujours ramènent au rivage
    fragments polis de sels, coques vides de noix,
    quelques songes brisés, restes d’anciens naufrages.

    Mais inlassablement je lance sur la mer
    d’inutiles et fragiles vaisseaux de papier.
    Combien de mots doux pour dessaler l’amer ?
    Les vagues les ramènent s’échouer à mes pieds.

    Pourtant ma flotille hissant pavillon d’espoir
    sans cesse s’élance sur la crête des flots
    combien en faudra-t-il d’offrandes dérisoires
    pour enfin endiguer la marée des fléaux ?

    Quand j’aurai les mains vides d’avoir tout donné
    qu’au moins le vent murmure « elle aura su rêver ».

    RépondreSupprimer
  3. Un texte magnifique, c'est un livre que j'aimerai beaucoup lire, la poésie j'adore.
    Merci.
    Belle soirée

    RépondreSupprimer