jeudi 20 juin 2024

Réfugiés / Home de Warsan Shire

20 juin, journée mondiale des Réfugiés

 
Fille de migrants, WARSAN SHIRE se souvient. 

Née au Kenya de parents somaliens, elle arrive en Grande-Bretagne à l'âge de un an. Elle est
diplômée d'un Bachelor of Arts in Creative Writing. En 2015, elle réside à Londres.


Personne ne quitte sa maison
A moins d’habiter dans la gueule d’un requin.
Tu ne t’enfuis vers la frontière
Que lorsque toute la ville s’enfuit comme toi.

Tes voisins courent plus vite que toi
Le goût du sang dans la gorge.
Celui qui t’a embrassé à perdre haleine
Derrière la vieille ferronnerie
Traine un fusil plus grand que lui.

Tu ne quittes ta maison
Que quand ta maison ne te permet plus de rester.


Personne ne quitte sa maison
A moins que sa maison ne le chasse
Le feu sous les pieds
Le sang qui bouillonne dans le ventre.
Tu n’y avais jamais pensé
Jusqu’à sentir les menaces brulantes de la lame
Contre ton cou.

Et même alors tu conservais l’hymne national
A portée de souffle
Ce n’est que quand tu as déchiré ton passeport
Dans les toilettes d’un aéroport
En t’étranglant à chaque bouchée de papier
Que tu as su que tu ne reviendrais plus.
 

Il faut que tu comprennes,
Que personne ne pousse ses enfants dans un bateau
A moins que la mer te semble plus sûre que la terre.
Personne ne brûle ses paumes
Suspendu à un train
Accroché sous un wagon
Personne ne passe des jours et des nuits dans le ventre d’un camion
Avec rien à bouffer que du papier journal
A moins que chaque kilomètre parcouru
Compte plus qu’un simple voyage.
Personne ne rampe sous des barrières
Personne ne veut être battu
Ni recevoir de la pitié.

Personne ne choisit les camps de réfugiés
Ni les fouilles à nu
Qui laissent ton corps brisé
Ni la prison
Mais la prison est plus sûre
Qu’une ville en feu
Et un seul garde
Dans la nuit
C’est mieux que tout un camion
De types qui ressemblent à ton père.

Personne ne peut le supporter
Personne ne peut digérer ça
Aucune peau n’est assez tannée pour ça.

Alors tous les :
« A la porte les réfugiés noirs
Sales immigrants
Demandeurs d’asile
Qui sucent le sang de notre pays,
Nègres mendiants
Qui sentent le bizarre
Et le sauvage,
Ils ont foutu la merde dans leur propre pays
Et maintenant ils veulent
Foutre en l’air le nôtre »
Tous ces mots-là
Ces regards haineux
Ils nous glissent dessus
Parce que leurs coups
Sont beaucoup plus doux
Que de se faire arracher un membre.


Ou les mots sont plus tendres
Que quatorze types entre tes jambes.
Et les insultes sont plus faciles
A avaler
Que les gravats
Que les morceaux d’os
Que ton corps d’enfant
Mis en pièces.

Je veux rentrer à la maison
Mais ma maison est la gueule d’un requin
Ma maison est le canon d’un fusil.

Et personne ne voudrait quitter sa maison
A moins d’en être chassé jusqu’au rivage
A moins que ta propre maison te dise :
Cours plus vite
Laisse tes vêtements derrière toi
Rampe dans le désert
Patauge dans les océans
Noie-toi
Sauve-toi
Meurs de faim
Mendie
Oublie ta fierté
Ta survie importe plus que tout.


Personne ne quitte sa maison
A moins que ta maison ne chuchote grassement à ton oreille :
Pars
Fuis moi.
Je ne sais pas ce que je suis devenue
Mais je sais que n’importe où
Vaut mieux qu’ici.

7 commentaires:

  1. Réponses
    1. no one leaves home unless
      home is the mouth of a shark
      you only run for the border
      when you see the whole city running as well
      your neighbors running faster than you
      breath bloody in their throats
      the boy you went to school with
      who kissed you dizzy behind the old tin factory
      is holding a gun bigger than his body
      you only leave home
      when home won’t let you stay.
      no one leaves home unless home chases you
      fire under feet
      hot blood in your belly
      it’s not something you ever thought of doing
      until the blade burnt threats into
      your neck
      and even then you carried the anthem under
      your breath
      only tearing up your passport in an airport toilets
      sobbing as each mouthful of paper
      made it clear that you wouldn’t be going back.
      you have to understand,
      that no one puts their children in a boat
      unless the water is safer than the land
      no one burns their palms
      under trains
      beneath carriages
      no one spends days and nights in the stomach of a truck
      feeding on newspaper unless the miles travelled
      means something more than journey.
      no one crawls under fences
      no one wants to be beaten
      pitied
      no one chooses refugee camps
      or strip searches where your
      body is left aching
      or prison,
      because prison is safer
      than a city of fire
      and one prison guard
      in the night
      is better than a truckload
      of men who look like your father
      no one could take it
      no one could stomach it
      no one skin would be tough enough
      the
      go home blacks
      refugees
      dirty immigrants
      asylum seekers
      sucking our country dry
      niggers with their hands out
      they smell strange
      savage
      messed up their country and now they want
      to mess ours up
      how do the words
      the dirty looks
      roll off your backs
      maybe because the blow is softer
      than a limb torn off
      or the words are more tender
      than fourteen men between
      your legs
      or the insults are easier
      to swallow
      than rubble
      than bone
      than your child body
      in pieces.
      i want to go home,
      but home is the mouth of a shark
      home is the barrel of the gun
      and no one would leave home
      unless home chased you to the shore
      unless home told you
      to quicken your legs
      leave your clothes behind
      crawl through the desert
      wade through the oceans
      drown
      save
      be hunger
      beg
      forget pride
      your survival is more important
      no one leaves home until home is a sweaty voice in your ear
      saying-
      leave,
      run away from me now
      i dont know what i’ve become
      but i know that anywhere
      is safer than here

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  2. Terrible, si vrai. Merci.

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  3. Un poème plus qu'émouvant...
    "Personne ne quitte sa maison
    A moins que ta maison ne chuchote grassement à ton oreille :
    Pars
    Fuis moi.
    Je ne sais pas ce que je suis devenue
    Mais je sais que n’importe où
    Vaut mieux qu’ici."

    Fatou Diomé a écrit
    "pour un peu de pain,
    ils entonnent le refrain:
    France, france
    So far away...

    errance!
    A la place du mil, ils ont semé des pas,
    Des pas qui vont nul ne sait où,
    derrière le jour, le rêve féconde la nuit...
    ... Les sacs plein d'espoir,
    ils avancent dans le noir...
    ...Ils se souviennent: famille, amis, mélodies, les joies d'avant...
    Déjà ils regrettent les mets, les mots, leur terre natale
    mais les larmes ravalées, ils s'en vont s'en se retourner..."

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  4. Ces mots me semblent si vrais, ma peine est si profonde pour ces gens qui fuient, qui subissent, notre monde manque totalement d'empathie... il nous faut traverser l'épreuve main dans la main. À bientôt Anne. brigitte

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