dimanche 25 décembre 2022

Marie... Noël

 

Maisons apprenez ce soir

 

A n’être pas tant prudentes ,

 

Tant closes au chemin noir.

 

Vous en serez plus contentes.

 

Dieu vient on ne sait pas d’où :

 

La porte ouverte au filou

 

Qui cherche à remplir son ventre,

 

Peut-être qu’à pas de loup

 

Un soir c’est par là qu’Il entre.

 

 

 Maisons, toutes, apprenez

A ne pas être tant pleines.

Gardez pour Dieu nouveau-né

Qu’un pas obscur vous amène,

Gardez un vide, un endroit

En vous derrière la fête

Un peu de silence étroit

Pour que dedans Il s’arrête

Au lieu de passer tout droit,

Gardez un petit espace 

Ô Maisons, pour Dieu qui passe. 

 

Marie Noël. - « Noël et morale aux maisons sur la prudence ».

- Le Rosaire des Joies. – Paris : N.r.f., Poésie/Gallimard, 1983. –

p. 178.


 

dimanche 18 décembre 2022

L'arbre abattu - Baladacchino, Bobin, Lavoué, Supervielle

Je trouve  ce jour sur le blog de l'ami Jean Lavoué L'enfance des arbres ce très beau texte que j'ai à mon tour envie de relayer. Il va nous chercher loin... 

"Cher Christian Bobin, vous m'avez sauvée"

Par Adeline Baldacchino
Publié le 12/12/202 dans Marianne

Adeline Baldacchino, écrivain, poète et éditrice, adresse une lettre à Christian Bobin décédé il y a quelques jours et avec qui elle a correspondu de son vivant, afin de lui rendre hommage 

Cher Christian Bobin, ce matin je vous écris dans un rayon de soleil qui perce à grand-peine la lumière d’hiver et traverse les branches d’un arbre dont je ne suis pas certaine de connaître le vrai nom. Ce rayon atteint ma table de travail et je regarde sans bien les voir mes mains qui s’agitent sur un clavier pour trouver un chemin vers vous.
Je me disais : aux vivants, ce sont des lettres qu’il faut adresser. Je vous en ai d’ailleurs déjà envoyé quelques-unes, rédigées à la main comme l’on fait quand le cœur n’a pas le temps de réfléchir et se livre tout nu à la pensée. Vous m’avez d’ailleurs déjà répondu, de cette grande et belle écriture que je reconnais désormais instantanément sur les enveloppes : quelques lignes presque calligraphiées, qui envahissent la page et disent l’essentiel sans fioritures, comme dans vos livres. Chacune de vos lettres était à elle seule un poème et croyez bien que je fais une chose que je ne fais pour aucune autre : je les cache dans vos livres pour qu’elles dorment dans ma bibliothèque avec tous les autres poèmes.

LIRE BOBIN

Si je vous écris ce matin, différemment ce matin, en usant de ces mots qu’on dépose sur un clavier comme des bêtes endormies, si je vous écris ce matin c’est à cause de Supervielle – grâce à Supervielle. L’hiver dernier, comme j’arrivais un matin à mon bureau dans un état d’extrême indifférence, pleine d’une vieille douleur qui jouait dans ma poitrine avec mon sang comme ferait un mortier avec le manioc, oui, comme j’arrivais à mon bureau dans le gris des petits matins mortels où s’effondre tout espoir de tout recommencer, je me suis assise et je vous ai écrit. Ce matin-là, j’étais censée faire autre chose à mon bureau, c’est entendu, mais il fallait que je vous écrive.

« Je voulais juste traverser le temps avec vous. »

Je vous ai dit, très simplement dit, que vous m’aviez un peu sauvée, l’été dernier, quand j’errais dans les rues de Vézelay, l’âme défaite et le corps insensible à la lumière, je venais de perdre mon père, je n’avais pas les mots à mettre sur la perte, je n’accordais plus crédit à rien, je ne savais pas que Supervielle à neuf ans, à Montevideo, écrivait des fables dans un livre de comptes, je pensais seulement à mon père qui n’était pas censé ne plus être là, qui n’aurait pas dû ne plus être là, je ne comprenais pas, je savais qu’il n’y a rien à comprendre, je regardais les tournesols, j’essayais d’écrire, il n’y avait plus rien à dire, je voulais lire, suivre Kessel en Afghanistan, Babur à Samarcande, mais ça ne suffisait pas, tous ces voyages, plus rien ne suffisait. Je cherchais comment dire l’âme allumée au grand flambeau de l’absence et qui brûle sans discontinuer.

Je vous ai donc écrit que vous m’aviez un peu sauvée, parce que j’étais tombée dans une librairie, par cette sorte de hasard que nous connaissons assez pour savoir qu’il n’existe pas, L’or des étoiles, c’était le nom de cette librairie, comment pourrait-il y avoir du hasard, j’étais tombée sur un de vos livres, je crois que c’était Ressusciter, mais cela n’a pas beaucoup d’importance, car les jours suivants j’ai dévoré tous les autres. Il n’y avait pas de raison de faire quoi que ce soit d’autre sur cette terre que de vous lire, ils y sont tous passés, je cochais des pages, puis presque chaque page, puis j’ai arrêté, je ne voulais me souvenir de rien en particulier, je voulais juste traverser le temps avec vous, avec vos mots je veux dire, ceux qui me répétaient la possibilité d’expérimenter la présence pure – le temps déborde, le monde passe, un oiseau l’habite.

DE BOBIN À SUPERVIELLE

Cher Christian Bobin, je dois vous l’avouer – longtemps, je vous avais trouvé « trop simple », comme si cela était possible ! Mais il en faut, du temps, pour comprendre que l’essentiel s’invente dans le dépouillement, qu’il a maille à partir avec l’essence-ciel, que ce n’est pas qu’un vain jeu de mots. De vos livres, il ne reste en moi que l’infime poussière dorée que laissent les ailes de papillon sur les feuilles mouillées qu’ils ont frôlées. Presque rien que l’évidence d’un presque rien qui suffirait. Je ne crois pas vraiment en quelque être omniscient et tout-puissant qui accepterait le mal malgré sa puissance, ce qui serait pervers. Je crois en revanche que nous ne savons pas grand-chose de ce que nous sommes, ni du monde que nous habitons, que la magie nous est consubstantielle du fait même de cette ignorance, que nous n’avons jamais fini d’être surpris, que la vie n’est qu’une extraordinaire pantomime et que nous croyons écrire la pièce quand nous sommes simplement pris au jeu, que la conscience déborde peut-être la matière et qu’il demeure de l’incompréhensible voire de l’espérance au cœur même du tragique.

« Je ne m’en souviens plus très bien, de cette lettre rédigée dans la brume des sanglots. »

Je suis donc agnostique s’il fallait être quelque chose, errante et sensible par cela même au doute comme le seront toujours les Hébreux/ivrim, dont je suis : mais je sais contempler l’incroyable, l’impalpable, l’infinitésimal – tout ce qui surgit à chaque instant du néant pour le nier avant d’y retourner. C’est pourquoi j’aime votre façon de parler de François d’Assise, des bébés et des vieillards, votre manière d’évoquer les arbres et leurs larmes, les femmes et leurs sourires, leur mort et la joie. Cet été-là, ce terrible été, je vous lisais l’après-midi dans une grande flaque de soleil, je vous promenais à travers bois dans ma poche, je vous rapportais le soir sur la terrasse derrière la cathédrale à l’heure des Perséides, en attendant les étoiles filantes qui me parlaient de mon père, et vous aviez cette rare faculté qu’Éluard reconnaissait à Supervielle : « Vos poèmes m’aidaient à vivre. »

Cher Christian Bobin, il y a autre chose. Dans la lettre que je vous écrivais l’hiver dernier pour vous remercier de dire avec tant de mots si simples tant de choses si compliquées, je vous racontais, je suppose, que mon père me manquait – je ne m’en souviens plus très bien, de cette lettre rédigée dans la brume des sanglots, mais en substance c’était sûrement cela que je disais puisque je ne savais rien dire d’autre. Et vous m’avez répondu ceci que je dois citer parce que c’est trop beau : « Nous avons un arbre dans la poitrine. Cet arbre, ce sont nos parents. La hache de la mort vient de porter un coup profond. J’aimerais que mes mots d’aujourd’hui vous donnent ce qui reste toujours à donner, même quand tout est perdu : un sourire. Il y a un poème de Supervielle qui parle d’un arbre abattu. Il dit que la forme du tronc, invisible, demeure longtemps dans l’air, tremblante, perçue des seuls oiseaux. L’absence de ceux que nous aimons, vous verrez, vous le savez déjà, fait peu à peu un bruit de feuillage dans notre cœur, comme la croissance d’un printemps désormais incorruptible. »

L'ARBRE ABATTU

Pour vous, par vous, j’ai retrouvé le poème de Supervielle. J’ai retrouvé l’arbre abattu qui avait plus d’existence en son tremblement que tous les arbres debout. J’ai retrouvé les oiseaux qui cherchaient la place de leur nid dans ses branchages fantômes. J’ai retrouvé ses mots qui fabriquaient des baumes dans le silence pour apaiser les blessures trop fraîches.

« Dans la forêt sans heures
On abat un grand arbre.
Un vide vertical
Tremble en forme de fût
Près du tronc étendu.
Cherchez, cherchez, oiseaux
La place de vos nids
Dans ce haut souvenir
Tant qu’il murmure encore. »

Il y a des poèmes faits pour raconter la grande présence de l’absence, la grande absence et son bruit de feuillage, le bruit que fait l’âme en rampant dans les sous-bois de la mémoire. Et puis des lettres pour dire la gratitude, et des vivants pour les lire. Cher Christian Bobin, ce matin je vous écris dans un rayon de lumière, pour vous remercier de m’avoir rappelé qu’il existait, de l’autre côté du désespoir, des « printemps incorruptibles ».

samedi 10 décembre 2022

Parution de fin d'année


 

C'est la petite surprise pour les cadeaux de fin d'année : un joli leporello pour égrener de mois en mois "une année de cerisier". J'en signe les aquarelles, sur un beau texte de Christian Sapin.

Avez-vous l'esprit de collection ? Il fera un merveilleux pendant au Dit des Passeroses ou au Oser l'insecte, au même format.

Il est disponible auprès de l'éditeur, ou sur les salons, ainsi qu'en librairie (déjà dans les librairies amies, très vite dans toutes, sur commande)... J'en ai également quelques-uns en dépôt, comme d'habitude.  Il fera un très chouette petit cadeau à glisser sous le sapin ou dans une enveloppe. 

 

• Une année de cerisier, texte de Christian Sapin, aquarelles d'Anne Le Maître, livre-objet en double leporello format replié 10,5 x 15 cm , Atelier des Noyers, collection "Quatre chemins", 12 euros.

 

lien : www.atelierdesnoyers.fr