mardi 27 novembre 2018

Mon Dieu qui donnes l'eau tous les jours à la source / Marie Noël



Mon Dieu qui donnes l’eau tous les jours à la source,
Et la source coule, et la source fuit ;
Des espaces au vent pour qu’il prenne sa course,
Et le vent galope à travers la nuit ;

Donne de quoi rêver à moi dont l’esprit erre
Du songe de l’aube au songe du soir
Et qui sans fin écoute en moi parler la terre
Avec le ciel rose, avec le ciel noir.

Donne de quoi chanter à moi pauvre poète
Pour les gens pressés qui vont, viennent, vont
Et qui n’ont pas le temps d’entendre dans leur tête
Les airs que la vie et la mort y font.

L’herbe qui croît, le son inquiet de la route,
L’oiseau, le vent m’apprennent mon métier,
Mais en vain je les suis, en vain je les écoute,
Je ne le sais pas encor tout entier.

J’ai vu quelqu’un passer, un fantôme, homme ou femme…
Mon cœur appelait sur la fin du jour…
Les rossignols des bois sont entrés dans mon âme.
Et j’ai su chanter des chansons d’amour.

J’ai vu quelqu’un passer, s’approcher, disparaître ;
Et les chiens plaintifs qui rôdent le soir
Ont hurlé dans mon cœur à la mort de leur maître.
J’ai su depuis chanter le désespoir.

J’ai vu les morts passer et s’en aller en terre,
Leur glas au cou, lamentable troupeau,
Et leurs yeux dans mes yeux ont fixé leur mystère.
J’ai su depuis la chanson du tombeau…

(...)

Vous qui passez par-là, si vous voulez que j’ose
Vous rapporter du ciel la plus belle chanson,
Douce comme un duvet, rose comme la rose,
Gaie au soleil comme un jour de moisson,

Si vous voulez que je la trouve toute faite,
Vite aimez-moi, vous tous, aimez-moi bien
Avant que mon cœur las d’attendre un peu de fête
Ne soit un vieux cœur, un cœur bon à rien.

Aimez-moi, hâtez-vous… J’entends le temps qui passe…
Le temps passera… le temps est passé…
Bientôt fétu qui sèche et que nul ne ramasse
Mon cœur roulera par le vent poussé,

Sans voix, sans cœur, avec les feuilles dans l’espace.


Marie Noël (1883-1967)

samedi 24 novembre 2018

L'espoir par mégarde


Sur la page nue d'un cahier
Quand l'aube tremble sous le vent
J ai - maladroite - fait tomber
Quelques graines de passeroses.

Fleuriront-elles au temps des roses  ?
         Toujours faire confiance au printemps.

lundi 19 novembre 2018

Trille


 
Ainsi s’ouvre le livre
quand l’envie des mots
est plus forte
que la  nuit.

Quand le plein de la page
est paysage
blanc :
Oh ! mes pas d’encre noire.

Quand le silence
bruisse
      de mots-moustiques
      de mots-abeilles
      de mots-oiseaux.

Quand la chambre
est une ruche
sur le bout de ma langue
le miel.

Dans la nuit nue
      soudain
un merle s’égosille.

Oh ! tracer sur la page
son chant.


lundi 12 novembre 2018

Laude


Demeure encore un peu
sur les genoux de la nuit
laisse tourner le sommeil en silence
et l'encre en lait 

Le jour retient son souffle et toi
c'est à peine
si tu oses
respirer

Le jardin est une énigme
de ton thé le brouillard monte
comme un encens.