jeudi 27 février 2020

Il suffit d'exister / Fernando Pessoa


"L’effarante réalité des choses
est ma découverte de tous les jours.
Chaque chose est ce qu’elle est,
et il est difficile d’expliquer combien cela me réjouit
et combien cela me suffit.


Il suffit d’exister pour être complet.
J’ai écrit bon nombre de poèmes.
J’en écrirai bien plus, naturellement.
Cela, chacun de mes poèmes le dit,
et tous mes poèmes sont différents,
parce que chaque chose au monde est une manière de le proclamer.


Parfois je me mets à regarder une pierre.
Je ne me mets pas à penser si elle sent.
Je ne me perds pas à l’appeler ma soeur
mais je l’aime parce qu’elle est une pierre,
je l’aime parce qu’elle n’éprouve rien,
je l’aime parce qu’elle n’a aucune parenté avec moi.


D’autres fois j’entends passer le vent,
et je trouve que rien que pour entendre passer le vent, il vaut la peine d’être né."


Fernando Pessoa
(L’effarante réalité des choses, 1915)


samedi 22 février 2020

Colocataire



Portrait d'une de mes colocataires "poids plume" du jardin de février : 
la mésange à longue queue, mini-format, maxi-énergie.


jeudi 20 février 2020

Glanés / Richard Blandin pour les éditions L. Mauguin



Constituant l'une de mes dernières rencontres en matière d'édition de poésie, les éditions L. Mauguin tiennent boutique au pied de la Butte aux Cailles à Paris. C'est également une belle galerie. Laurence Mauguin y poursuit depuis 1996 un chemin singulier où dialoguent les mots et les images, où chaque recueil est composé, caressé, cousu, orné avec un infini raffinement. J'ai aimé Dans nos maisons les jardins dessineraient la paix, d'Annie Ranvier, et ce très beau Carré de Pluie, de Richard Blandin, dans lequel le texte sur chaque page (impossible de le restituer dans la mise en page de ce blog) occupe l'espace d'un rectangle.

"paumes posées sur
les empreintes des
veines du ciel 
compte en silence
comme doigts croisés
clair étroit si pas
le passé s'efface"


Coup de coeur absolu (j'aime les petites choses précieuses) pour une merveille sortie des mains de Laurence : ces petites cartes sous cellophane portant chacune un vers, ornée de pétales séchées, de mousse, d'éclats de verre ou de brisures de coquillage, à offrir à celles et ceux que l'on aime et qui aiment la délicatesse. On imagine le temps de la collecte et celui de la composition, le choix des mots, l'assemblage fin du bout des doigts, le froissement de la cellophane...


liens :
• Vers les éditions et la galerie
Vers  le site de Richard Blandin

dimanche 16 février 2020

Au coeur de l'arbre, Graeme Allwright




So long, Graeme Allwright...


Au coeur de l'arbre il y a le fruit
Au coeur du fruit il y a la graine
Au coeur des graines il y a la vie
Et la saison prochaine
 
Au coeur de l'homme il y a l'amour
Au coeur de l'amour il y a la peine
Au coeur des peines il y a le jour
Que le matin ramène
 
Au coeur de l'arbre il y a le bois
Au coeur du bois il y a la planche
Et de deux planches on fait la croix
Qui tient Dieu dans ses branches
 
Au coeur de l'ombre il y a la nuit
Au coeur des nuits c'est ton absence
Si je m'endors ta lampe luit
Tu es dans le silence
 
 

Un grand fond de silence / Etty Hillesum

 Je voudrais n'écrire
que des mots insérés
dans un grand silence

Comme cette estampe
avec une branche fleurie
dans un angle inférieur

Quelques coups de pinceaux
délicats
et tout autour
un grand espace

Non pas un vide
disons plutôt
un espace inspiré

Si j'écris un jour
et qu'écrirai-je au juste
je voudrais tracer ainsi
quelques mots au pinceau
sur un grand fond de silence



jeudi 13 février 2020

Glanés / Camille Loivier pour Potentille


Et si de temps à autre je consacrais quelques lignes aux trouvailles multiples et aux rencontres (de gens et de mots) qui émaillent ma fréquentation assidue, comme auteure et comme lectrice, des salons du livre et autre marchés de la poésie ? 
Alors voici un premier coup de coeur rapporté du salon "Livre à Part" de Saint-Mandé. 

Une voix qui mue, de Camille Loivier, parle (murmure, plutôt) de ce que c'est de grandir avec dans la bouche deux langues (mais oui !), dans le coeur deux pays, et comment on ne se remet jamais totalement de cette richesse-là. Confidence chuchotée dans le léger déhanchement de la non-évidence des mots.

"je suis retournée sur les lieux
où j'ai retrouvé l'enfance
le temps avait arrêté de s'écouler

nous venions du passé
nous venions du temps long et de 
l'univers clos, nous venions
de l'époque où nos mères sont jeunes et
nous sourient, où nos pères nous
portent sur leurs épaules, il est si
enivrant de voir le monde d'en haut
plus haut, encore plus haut
on vit au ralenti, extrêmement 
précautionneux de nos pas
et de nos
gestes

c'est cela qui m'arrive
je retourne à Taipei
comme dans ma ville natale
c'est donc ma ville natale car
je n'en ai pas d'autre"


Les très jolies et très riches éditions Potentille font partie des quarante-et-une (si, si !) maisons d'édition que compte ma région Bourgogne-Franche-Comté. Ce chiffre est incroyable qui dit la richesse invisible des mots et de celles et ceux qui se vouent chaque jour à les mettre en circulation, en vie, en partage. Potentille, petite maison vouée à la poésie contemporaine et dirigée avec enthousiasme par Anne Brousseau, pousse depuis 2007 dans la Nièvre.


Liens : 
• Pour en savoir un tout petit peu plus sur Camille Loivier, cliquez là.
• Editions Potentille, c'est par ici.

jeudi 6 février 2020

Jeux de mots

Après les premières expériences sur leurs blogs respectifs (voir ci-dessous) figurez-vous qu'Adrienne depuis la Belgique, Colo depuis les Baléares et moi nous sommes piquées au jeu de la traduction. Parce que les mots, ça voyage. Alors reconnaîtrez-vous ce petit poème issu de ma plume ?

Le voici d'abord en néerlandais, interprété par Adrienne :

Gekregen van een roodborstje

Ik opende het raam
op vogelzang
rijm kwam binnen
de nacht was bleek


het lied zei me
blijf nog wat
hoor wie waakt


niemand kent
het geheim
van de vogel.


De les van het roodborstje
is dit onverdroten gezang
in de nacht
bezaaid met blauwe rijm


Met de mist die opkomt van de rivier
en de diertjes
slapend in holen.


31 december
mijn huid is blauw van de kou
blootsvoets
aan het raam


deze nacht
heeft de onversaagdheid

een goudrode keel


ik krijg van de vogel
de laatste les
van het jaar.


Et voici celui de Colo :


Recibido de un petirrojo
 
Abrí la ventana
al canto del pájaro
la escarcha entró
la noche era pálida
 
el canto me dijo
demórate
escucha al que vela
 
nadie puede decir
el secreto
del pájaro.
 
La lección del petirrojo
es este canto obstinado
en la noche
engarzada de hielo azul
 
Con la niebla que sube del río
y los pequeños animales
dormidos en los agujeros.
 
31 de diciembre
tengo la piel azul de frio
descalza
en la ventana
 
la valentía
esta noche
tiene la garganta roja
 
recibo del pájaro
la última lección
del año.


... Alors ? Vous l'avez traduit à votre tour sans problème ? 


liens vers : 

Abécédaire du temps qui passe, le blog d'Adrienne : 
https://adrienne414873722.wordpress.com/

Espaces, instants, le blog de Colo : 
https://espacesinstants.blogspot.com/

• le personnage principal de cette histoire : 
http://lesmomentsbleus.blogspot.com/2020/01/un-peu-damour.html

• le poème source : 
http://lesmomentsbleus.blogspot.com/2019/12/recu-dun-rouge-gorge.html

dimanche 2 février 2020

Acanthes



Ainsi sommes-nous
1er février samedi 11 heures
sous la pluie tiède.

Souviens-toi.

Souviens-toi du vent
et de la pie dans le sapin
de cinq pigeons de haute voltige
       et du merle.

Souviens-toi du nuage
accroché à la brique
de l’immeuble voisin
pleurant pour nous
la première pluie.

Souviens-toi
ainsi sommes-nous
       vertes
       neuves
       froissées un peu
et luisantes déjà
à refléter le gris du ciel
et la pie
et le vent.

La mésange chante
dis-nous
« mésange »
apprends-nous
       les mots.

Car

ainsi sommes-nous
ignorantes de notre nom
ignorantes de tout
sauf du vert
et du gris
et du cri de la pie.

La pluie
sur ta vitre
la pluie
sur nos feuilles
premier baiser du monde
ou première gifle ?

Souviens-toi de ce jour
jour de nuage
jour de sapin
jour de mésange
souviens-toi de ce jour
et apprends-nous
       demain.

Glisse-nous
fais nous place
       vives
dans un carnet de pluie
de vent
et de nuages.


La pluie nous baptise
donne nous le nom

         « acanthes »

nous sommes.



Souvent, quand tout est bien, mots et images poussent ensemble. Ce poème a trouvé  place dans un petit carnet dont vous trouverez bientôt une image sur Bleu de Prusse, en cliquant ICI.