jeudi 24 décembre 2020

Célébration d'amitié

Puisqu'il s'agit ici de fêter le 100e exemplaire ayant trouvé sa bibliothèque, du si émouvant Avec la Vieille Dame, de Marie Gillet,

puisque l'amie Marie promène son si doux regard sur les rues, les chemins et les jardins de la belle Provence,

et puisque Noël approche à grand pas ...

             ... Ne trouvez-vous pas ce santon "vieille dame" tout-à fait de circonstance ? 

Alors bravo et merci à Marie, à son chemin de mots qui nous emmène jour après jour et de page en page à travers les petits et les grands bonheurs du jour. Merci pour sa délicatesse sans mièvrerie, son sens de l'écoute, son infini respect du vivant. 



Et que ce beau texte continue de rencontrer ses lecteurs, et que Marie nous enchante et encore longtemps, et nous chuchote à l'oreille sa sagesse de joie.

Liens :

• vers le blog "Bonheur du Jour" de Marie.

• vers un bel article de Tania sur le blog Textes et Prétextes, qui évoque le livre de Marie.

• vers le site de l'éditeur, L'Harmattan.
 

samedi 21 novembre 2020

Du silence / Guillevic

 

 Je fore

Je creuse.


Je fore 

Dans le silence


Ou plutôt 

Dans du silence,


Celui qu'en moi

Je fais.


Et je fore, je creuse,

Vers plus de silence,


Vers le grand,

Le total silence en ma vie


Où le monde, je l'espère,

Me révèlera quelque chose de lui.


(Possibles futurs, 1994)

vendredi 13 novembre 2020

La Belgique en poésie

 

Ce joli article réunit plein de choses et de gens que j'aime : la Belgique, la poésie, Colette Nys-Mazure, avec qui je viens de publier Chaque aurore te restera première, mais aussi Philippe Mathy, pour qui j'avais illustré Iles de la Gargaude. Si on ajoute que l'article est signé Françoise Lison-Leroy, elle-même poétesse (belge) de talent, on a un petit concentré de bonheur en quelques lignes, que j'avais envie de partager. 

(cliquez sur l'article pour l'agrandir et pouvoir le lire)


dimanche 8 novembre 2020

A l'écart des bruits du monde

 "Il se faut réserver une arrière-boutique toute nôtre, toute franche, en laquelle nous établissons notre vraie liberté et principale retraite et solitude"

Michel de Montaigne, Essais, "De la solitude".


Carl Vilhelm Holsoe, 1909


dimanche 1 novembre 2020

Plus jamais...

 Quelle est cette nuit dans le jour? 

Quel est dans le bruit ce silence? 

 Mon jour est parti pour toujours 

Ma voix ne charme que l'absence 

Tu ne me diras pas "bonjour" 

Tu ne me diras pas "bonjour" 

 Tu ne me diras pas "bonjour" 

 

 Plus jamais de chambre pour nous 

Plus jamais 

Ni de baisers à perdre haleine 

 Et plus jamais de rendez-vous 

D'une heure à peine 

Où reposer à tes genoux 

Plus jamais C'est dit 

C'est fini 

Plus jamais 

Plus de pas unis, plus de nombre 

Plus de toit secret, plus de nid 

 Où passe et sombre 

 L'instant que l'amour a béni 

 

Pourquoi le temps des souvenirs 

Doit-il me causer tant de peine? 

Et pourquoi le temps du plaisir 

M'apporte-t-il si lourdes chaînes? 

Que je ne puis les soutenir 

Que je ne puis les soutenir 

Que je ne puis les soutenir 

 

Rivage, oh! Rivage où j'aimais 

Aborder le bleu de ton ombre 

Rives de novembre et de mai 

Où l'amour faisait sa pénombre 

Je ne vous verrai plus jamais 

Je ne vous verrai plus jamais 

Je ne vous verrai plus jamais

 


 

jeudi 8 octobre 2020

Louise Glück : let's celebrate !

 

Une femme. 

Une poétesse. 

Qui écrit sur les mauvaises herbes, les coquelicots et les ciels changeants... 

Comment voulez-vous que je ne me sente pas heureuse du choix de l'académie Nobel, qui vient de distinguer l'américaine Louise Glück pour son prix de littérature ? Pensez qu'on aurait pu avoir Houellebecq ! cela n'aurai pas envoyé le même message... Je préfère (pour une fois) vivre dans un monde qui ose, même tout bas, même en sourdine, de célébrer les femmes et les herbes folles.

Quelque chose
vient au monde sans y avoir été invité
provoquant le désordre, le désordre –
Si tu me hais tant,
ne t’embête pas à me donner
un nom : as-tu besoin
d’une autre insulte
dans ta langue, une autre
façon de blâmer
une tribu pour tout –
comme nous le savons tous les deux,
pour adorer
un seul dieu, on a besoin
d’un seul ennemi –
Je ne suis pas l’ennemi.
Seulement une ruse qui te permet de te détourner
de ce que tu vois en train de se passer
ici même, dans ce lit,
petit paradigme
de l’échec. Ici, presque chaque jour
l’une de tes précieuses fleurs
meurt et tu ne trouveras le repos
qu’après avoir assailli la raison, en d’autres termes :
tout ce qui reste, tout ce qui se sera
avéré plus robuste
que ta passion personnelle –
Ce n’était pas supposé
durer éternellement dans le monde réel.
Mais pourquoi l’admettre alors que tu peux continuer
à faire ce que tu as toujours fait,
le deuil et les reproches,
toujours les deux ensemble.
Je n’ai pas besoin de tes louanges
pour survivre. J’étais là en premier,
avant toi, avant
même que tu aies planté le jardin.
Et je serai là, alors qu’il ne restera que le soleil, la lune,
la mer et la grande prairie.
Je serai la prairie.
 
Louise Glück, "Herbes folles", in The Wild Iris, 1993 (prix Pulitzer), traduction de Marie Olivier.

samedi 26 septembre 2020

Chaque aurore te restera première / Colette Nys-Mazure

 
"Tu vas
Tu avances en vie ; 
Parfois tu te retournes et t'étonnes :
 
Le temps derrière toi,
Tapis de plus en plus vaste."
 
 

  
 
Chaque aurore te restera première, texte de Colette Nys-Mazure, illustrations d'Anne Le Maître, publié aux éditions de l'Atelier des Noyers (disponible sur leur site, en cliquant ICI).

mardi 22 septembre 2020

Ces veilleuses qui tremblent / Jean Vasca

 

 

Amis soyez toujours ces veilleuses qui tremblent

Cette fièvre dans l'air comme une onde passant 

Laissez fumer longtemps la cendre des paroles 

Ne verrouillez jamais la vie à double tour 

 

Je suis là cœur battant dans certains soirs d'été 

À vous imaginer à vous réinventer 

Amis soyez toujours ces voix sur l'autre rive 

Qui prolongent dans moi la fête et la ferveur 

 

Des fois vous le savez il fait encore si froid 

Le voyage est si long jusqu'aux terres promises

Je suis là cœur battant dans tous les trains de nuit 

Traversant comme vous tant de gares désertes 

 

Amis soyez toujours l'ombre d'un bateau ivre 

Ce vieux rêve têtu qui nous tenait debout

 Peut être vivrons-nous des lambeaux d'avenir 

Et puis nous vieillirons comme le veut l'usage 

 

Je suis là cœur battant à tous les carrefours 

À vous tendre les mains dans l'axe du soleil.

 



(Je ne suis décidément pas de mon époque,  mais que j'aime ces textes... Merci à Bernadette pour la découverte de celui-ci)




samedi 4 juillet 2020



 Blog en pause pour l'été. 
Belles lectures, belles baguenaudes et délicieux silence 
à toutes et à tous.


jeudi 2 juillet 2020

Advenir / A. Mihaylova


Rien dans cette vie n’arrive par hasard,
penses-tu en regardant les ombres dans le parc
qui se réveillent deux par deux
dans la première percée du soleil.
Tu les couvres avec ton regard
et tu fais un noeud
de tes cris.


Tout dans cette vie a un sens
incompréhensible parfois ou imprévisible
comme les arbres le long du chemin de fer :
les uns se jettent sous les trains qui passent
les autres coupent la main qui fait un signe d’adieu.


Et toi, tu roules encore
le noeud dans la gorge,
en refusant d’accepter :


quoi qu’il arrive dans ta vie
permets-lui d’advenir.



Aksinia Mihaylova (née en 1963 à Rakevo, Bulgarie)  
 Le baiser du temps (Gallimard, 2019)


Glané chez Schabrières, dont les trouvailles me nourrissent si souvent.
C'est ici : Beauty will save the world

 


samedi 27 juin 2020

Passeroses (suite)




...
 
Cannes souples
Filles-joncs
Qui languissent
Et se couchent.

Nos jupons
Se défroissent
Se déploient
Se déprennent.


Demandez-nous
Le poids du temps
Le prix du vent
Et des orages.


Comme s’efface toute chose
Ainsi passent les passeroses.

jeudi 25 juin 2020

Passeroses

 
Si vous nous demandez
De quoi sont faits nos jours
Nous vous répondrons
           de lumière.

Si vous nous demandez
Ce qui nous tient en vie
Nous vous répondrons
           le printemps.

Si vous nous demandez
Quel dieu régit nos cœurs
Nous vous répondrons
           le soleil.

...


mardi 9 juin 2020

Revue de presse en forme de pierre





Une recension de Journal d'une Pierre, parue 
 dans la revue Décharge (juin 2020, n°186). 


L'ouvrage, paru en décembre dernier et qui soupire après les marchés, salons et rencontres littéraires annulés pour cause de pandémie, est disponible chez quelques merveilleux libraires ainsi qu'auprès de moi-même, et de la maison d'édition l'Atelier des Noyers. Vous pouvez également vous procurer cartes postales et tirages numériques.


Les originaux du livre seront exposés tout l'été à la librairie La Colline, à Flavigny-sur-Ozerain (21).

dimanche 7 juin 2020

Bonheur de la perte / Thomas Vinau


J'ai fait la course 
avec un oiseau 
j'ai perdu
j'ai fait la course 
avec un nuage
j'ai perdu
j'ai fait la course 
avec la pluie
j'ai perdu
j'ai fait la course 
avec le soleil
j'ai perdu
j'ai fait la course 
avec le mistral
j'ai perdu
j'ai fait la course 
avec un akène
j'ai perdu
j'ai fait la course 
avec une mouche
j'ai perdu
j'ai fait la course 
avec l'ombre d'un cheval
j'ai perdu
j'ai fait la course 
avec la rumeur d'un lézard
j'ai perdu
j'ai fait la course 
avec les parfums d'un genêt 
j'ai perdu
J'ai fait la course
avec les aboiements d'un chien
j'ai perdu
à chaque moment 
ce fut un grand honneur 
et un immense bonheur
de perdre 
 
 
(Dérobé au blog de Thomas Vinau à la page du 6 juin 2020)
 

jeudi 4 juin 2020

Le jeu des titres #2

Voici un nouveau poème par titres dérobés. 
Il est un peu mélancolique mais pourquoi pas ?


Ce jeu m'amuse décidément beaucoup, et j'aime ces rencontres improbables entre Stéphane Hessel et Erri de Luca (qui auraient sans doute eu beaucoup de choses à se raconter).

Une fois, un jour
ô ma mémoire
refaire le monde
ensemble, c'est tout.


J'y joins celui que m'a envoyé Marie à la suite de mon précédent article sur le même sujet. Hasard des bibliothèques et des inspirations, il finit par les mêmes mots :



samedi 30 mai 2020

Le jeu des titres



Connaissez-vous - je l'ai découvert durant le confinement - ce jeu délicieux qui consiste à empiler des livres de façon à composer, avec leur titre, un poème improbable ?
Ma fantaisie du jour se se lit donc ainsi :

Tu peux rêver 
dans la forêt
voir
la vie en vert
habiter en oiseau
une maison parmi les arbres

l'amie Izys s'y adonne régulièrement :




J'adore !
Et vous, avez-vous déjà joué de cette façon ? A vos bibliothèques, ami-e-s des livres (et si vous m'envoyez des propositions, je les publierai avec plaisir).

lundi 25 mai 2020

Lu durant le confinement...

.
.. et pour tout, dire, alors que j'étais encore sous le coup du covid. Comme beaucoup de monde.
Il se trouve que je n'avais jamais lu La Peste. J'aurais aimé le "relire". Parce que, forte de ma lecture précédente, je l'aurais sans doute lu différemment. Mais cette lecture, enfermée chez moi, ne sortant, masquée, que pour les courses de première nécessité, et tandis que tous les soirs s'égrenaient à 20 h les chiffres de mortalité, m'a donné l'impression de lire un reportage. Je suis tombée des nues quand quelqu'un, devant moi, a évoqué la métaphore du totalitarisme que cachait l'idée de la maladie. Elle m'avait absolument échappée : je ne pouvais que me dire "Ah ! l'héroïsme des soignants ! Ah ! le sgens qui fuient les villes ! Ca y est : les hôpitaux de campagne, la saturation des morgues, ils en sont là, ça va nous arriver".  Et, de fait, c'est ce qu'annonçaient les journalistes, le soir...
Drôle d'expérience d'une littérature qui avait perdu son goût. Une sorte de lecture en noir et blanc.
Et vous, avez-vous (re)lu L'amour au temps du choléra ? Le hussard sur le toit ? Nemesis ? Le Decaméron ?... Et qu'en avez-vous tiré ? 


"En regardant par la fenêtre sa ville qui n’avait pas changé, c’est à peine si le docteur sentait naître en lui ce léger écœurement devant l’avenir qu’on appelle inquiétude. Il essayait de rassembler dans son esprit ce qu’il savait de cette maladie. Des chiffres flottaient dans sa mémoire et il se disait que la trentaine de grandes pestes que l’histoire a connues avait fait près de cent millions de morts. Mais qu’est-ce que cent millions de morts ? Quand on a fait la guerre, c’est à peine si on sait déjà ce qu’est un mort. Et puisqu’un homme mort n’a de poids que si on l’a vu mort, cent millions de cadavres semés à travers l’histoire ne sont qu’une fumée dans l’imagination. Le docteur se souvenait de la peste de Constantinople qui, selon Procope, avait fait dix mille victimes en un jour. Dis mille morts font cinq fois le public d’un grand cinéma. Voilà ce qu’il faudrait faire. On rassemble les gens à la sortie de cinq cinémas, on les conduit sur une place de la ville et on les faits mourir en tas pour y voir un peu clair. Au moins, on pourrait mettre alors des visages connus sur cet entassement anonyme. Mais, naturellement, c’est impossible à réaliser, et puis qui connaît dix mille visages ?"

mercredi 20 mai 2020

Revenir / Guy Goffette


Il faudra bien revenir un jour
quand la force de nos bras
aura chu dans les seaux
quand nos jambes seront de laine
et le sol plus mouvant que les eaux
quand l'oreille bourdonnera
comme un nid de frelons
frappé par l'orage et que l'oeil
cherchera l'aube en plein midi
il faudra revenir ici calmement
et s'asseoir au milieu de soi
pour voir le monde  alentour
comme l'or du forsythia.

Guy Goffette, L'or du forsythia, in Pain perdu

dimanche 10 mai 2020

Je ne saurais me dire confinée...


(petits instantanés du jardin)
 
L'essentiel est d'être consciente de la chance que j'ai.

mercredi 6 mai 2020

Vide et serein (avec robinet qui coule)



Ce délicieux et mystérieux tableau de Peter van Schendel (1806-1870) a été évoqué il y a quelques jours par Jean-Christophe Pucek sur son blog Notulae. L'occasion de partager avec vous mon goût pour ses articles érudits et pleins de sensibilité.

Je vous laisse vagabonder dans cette cuisine dont les habitants viennent juste de s'absenter (ils ne sauraient tarder à revenir) et je vous renvoie à l'article évoqué. Vous y découvrirez (entre autres) la musique que J-Ch Pucek propose pour accompagner votre promenade :
http://notulae.fr/2020/05/03/comme-leau-qui-coule/

Bonne baguenaude, bonne journée.

dimanche 3 mai 2020

Fixant l'horizon / Delphine Chrétien


À l’Est l’enfance, soleil à peine levé,
le lilas, le chèvrefeuille, le muret, les vaches, le coq,
les piquets de tomates, le fil à linge,
les pierres, la rivière, le jardin, la clôture,
la haie, la maison du voisin,
le regard fixant l’horizon,

rêver
au Nord étoilé, lune pleine,
l’arbre plus grand que la fenêtre,
les moutons, les canards,
le brouillard, le rose, le jardin, la clôture,
la haie, la maison du voisin,
le regard fixant l’horizon,

aller
au Sud ouvert, soleil au zénith,
les odeurs, la chaleur, le bleu, le vert,
un léger vent, les feuilles dans l’arbre,
au-delà du jardin, de la clôture,
hors de la haie, de la maison du voisin,
le regard fixant l’horizon,

planter
à l’Ouest, la pénombre, le bruit,
béton, bitume, rue,
pas de jardin, pas de clôture,
pas de haie, pas de maison du voisin,
le regard fixant l’horizon,


Ce poème, je le découvre dans les "voix nouvelles" de la revue Décharge.  Il n'est, je crois, pas publié mais encore à l'état de manuscrit, un recueil intitulé "Sous le prunier". On a envie d'en lire plus, tant il donne envie de pousser la porte du jardin.
• Pour en savoir plus, c'est ici que ça se passe


samedi 25 avril 2020

Ceux dont je ne suis pas amoureuse / Wislawa Szymborska

Remerciements

Je dois beaucoup à ceux
dont je ne suis pas amoureuse.

Le soulagement d’apprendre
que d’autres ils sont plus proches
La joie de ne pas être
le loup de leurs agneaux.

La paix vient avec eux, et la liberté,
choses que l’amour ne saurait donner,
ni prendre au demeurant.

Je ne les attends pas
de la porte à la fenêtre.

Patiente tel un cadran solaire,
prête à comprendre
ce que l’amour ne saurait comprendre,
à pardonner
ce que l’amour ne pardonnerait jamais.

D’une lettre à une rencontre
s’étale non pas l’éternité,
mais quelques jours tout bêtes, ou quelques semaines.

Avec eux les voyages sont réussis,
les concerts bien entendus,
les cathédrales bien visitées,
et les paysages bien distincts,
et lorsque des terres et des océans nous séparent,
il s’agit d’océans et de terres
bien connus de la géographie.

C’est à eux que je dois de vivre
en trois solides dimensions
dans un espace non lyrique, et non rhétorique
doté d’un horizon réel, mobile, comme il se doit.

Ah ils ignorent sans doute
combien ils m’apportent dans leurs mains vides.

« Je ne leur dois rien du tout »
dirait l’amour
à ce sujet ouvert.


Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer,
Traduction du polonais par Piotr Kaminski, Poésie / Fayard, 1996.
Trouvé (avec délices) sur le blog de  Sylvie E. Saliceti.

dimanche 19 avril 2020

Dépaysement



Hier après-midi pour me faire rêver au salon,  
le soleil avait esquissé sur le mur une fresque de Pompéi...


lundi 13 avril 2020

Couleur de la sagesse




Apprends donc à te taire
Fais taire en toi le monde
la rumeur
la science
goûte un peu
l’ignorance


C’est l’iris qui l’a dit
l’iris du jardin
roi Salomon parmi les fleurs
vêtu de velours
de lumière
et de sagesse
bleue


Et je me suis assise
au jardin moi aussi
muette
et sans intelligence

J’essaie de me tailler
d’ici cent ans peut-être
tout léger
lumineux

bleu 
 
un manteau
de ciel.

samedi 11 avril 2020

Crier de joie dans l'ombre / Raphaël Buyse


"...Va t-il un jour finir, le Samedi saint ?
Parce qu’il faut le dire quand même, cette histoire-là, ce n’est pas du passé. C’est aujourd’hui encore. Dans la vie, il y a des jours où tout semble au point mort. Il ya des jours où notre vie semble s’arrêter, où nos amours n’en peuvent plus, où le travail n’a plus de sens.  On est comme devant un tombeau. Avec le sentiment de ne plus vraiment comprendre et de ne plus bien savoir le « pourquoi » et le « comment » des choses qui nous arrivent. En nous, il y a du doute, de la colère, et mille « pourquoi ? »…


Bien sûr, on garde au cœur le souvenir des belles choses vécues, des bons moments passés et des belles rencontres. Mais là, on sait plus bien. On est « perdu », comme on dit.. C’est un peu comme une nuit. Une nuit profonde.
Cela ne vous arrive jamais, à vous ?


Mes amis, je vous le dis : il faut se méfier des gens qui, tout de suite, cherchent à nous rassurer. Il faut se méfier de ceux qui s’empressent, devant nos questions et nos doutes, de nous donner des réponses toutes faites, apprises dans les catéchismes jaunis. Il faut même fuir les gens qui nous disent, dans une assurance qui ne rassure qu’eux : « ne t’inquiète pas, ça va aller… »

Lorsque des questions graves se posent à nous, lorsque des doutes nous saisissent, c’est une sottise de chercher à les recouvrir d’un coup de vernis acheté à bon compte dans une droguerie religieuse.


J’aime beaucoup Rainer Maria Rilke : c’est un poète. Dans une correspondance qu’il avait avec un jeune poète qui se posait des questions sur lui-même et sur son écriture, Rilke lui répondait :
« Monsieur, vous êtes si jeune, si neuf devant les choses, que je voudrais vous prier, autant que je sais le faire, d’être patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre coeur. Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère.
Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre.
Ne vivez pour l’instant que vos questions.
Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses.»


C’est peut-être ça, l’esprit du Samedi saint.
D’être là.
Assis devant une pierre scellée.
Et de nommer, au creux de notre silence, toutes ces situations fermées que nous vivons et que d’autres vivent autour de nous, tous ces évènements qui nous semblent insensés, toutes ces rencontres, ces affections et ces amours qu’on ne comprend plus très bien ou qu’on ne sait plus vivre…
De les déposer là…
Et qui sait ?…


 » Dans la nuit, chantait un vieux croyant, je me souviens de toi. Et je reste des heures à te parler. Je me souviens qu’un jour, tu es venu à mon secours.
Alors je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
»


Crier de joie.
Dans l’ombre.


La joie dans l’ombre : quel étrange mystère…"


En ces temps, je suis extrêmement touchée par la force et la simplicité des mots du père Raphaël Buyse. Ses mots viennent résonner avec ce que je vis, moi, de ce confinement : ce sentiment de perte, d'absence à soi-même. L'intuition qu'il s'agit d'être patient... Ici, un (long) extrait de sa méditation d'aujourd'hui, samedi saint, veille de Pâques. On la trouve sur son blog : 
https://raphaelbuyse.wordpress.com/2020/04/11/circulez-il-ny-a-rien-a-voir-2/



vendredi 10 avril 2020

Un temps plus large / Bonnefoy

Transmis par mes libraires dijonnais préférés, un poème d'Yves Bonnefoy extrait du recueil Les planches courbes (Poésie Gallimard), qui interroge notre rapport au monde et résonne, plus que jamais, en ce vendredi saint de mort avant renaissance, comme une prière :
Que ce monde demeure !
I
Je redresse une branche
Qui s'est rompue. Les feuilles
Sont lourdes d'eau et d'ombre
Comme ce ciel, d'encore
Avant le jour. Ô terre,
Signes désaccordés, chemins épars,
Mais beauté, absolue beauté,
Beauté de fleuve,
Que ce monde demeure,
Malgré la mort !
Serrée contre la branche,
L'olive grise.

II
Que ce monde demeure,
Que la feuille parfaite
Ourle à jamais dans l'arbre
L'imminence du fruit !
Que les huppes, le ciel
S'ouvrant, à l'aube,
S'envolent à jamais, de dessous le toit
De la grange vide,
Puis se posent, là-bas
Dans la légende,
Et tout est immobile
Une heure encore.

III
Que ce monde demeure !
Que l'absence, le mot
Ne soient qu'un, à jamais,
Dans la chose simple.
L'un à l'autre ce qu'est
La couleur à l'ombre,
L'or du fruit mûr à l'or
De la feuille sèche.
Et ne se dissociant
Qu'avec la mort
Comme brillance et eau quittent la main
Où fond la neige.

IV
Oh, que tant d'évidence
Ne cesse pas
Comme s'éteint le ciel
Dans la flaque sèche,
Que ce monde demeure
Tel que ce soir,
Que d'autres que nous prennent
Au fruit sans fin,
Que ce monde demeure,
Qu'entre, à jamais,
La poussière brillante du soir d'été
Dans la salle vide,
Et ruisselle à jamais
Sur le chemin
L'eau d'une heure de pluie
Dans la lumière.

V
Que ce monde demeure,
Que les mots ne soient pas
Un jour ces ossements
Gris, qu'auront becquetés,
Criant, se disputant,
Se dispersant,
Les oiseaux, notre nuit
Dans la lumière.
Que ce monde demeure
Comme cesse le temps
Quand on lave la plaie
De l'enfant qui pleure.
Et lorsque l'on revient
Dans la chambre sombre
On voit qu'il dort en paix,
Nuit, mais lumière.

VI
Bois, disait celle qui
S'était penchée
Quand il pleurait, confiant,
Après sa chute.
Bois, et qu'ouvre ta main
Ma robe rouge,
Que consente ta bouche
À sa bonne fièvre.
De ton mal presque plus
Rien ne te brûle,
Bois de cette eau, qui est
L'esprit qui rêve.

VII
Terre, qui vint à nous
Les yeux fermés
Comme pour demander
Qu'une main la guide.
Elle dirait : nos voix
Qui se prennent au rien
L'une de l'autre soient
Notre suffisance.
Nos corps tentent le gué
D'un temps plus large,
Nos mains ne sachent rien
De l'autre rive.
L'enfant naisse du rien
Du haut du fleuve
Et passe, dans le rien,
De barque en barque.

VIII
Et encore : l'été
N'aura qu'une heure
Mais la nôtre soit vaste
Comme le fleuve.
Car c'est dans le désir
Et non le temps
Qu'a puissance l'oubli
Et que mort travaille,
Et vois, mon sein est nu
Dans la lumière
Dont les peintures sombres, indéchiffrées,
Passent rapides.

mercredi 8 avril 2020

lundi 6 avril 2020

L'espoir à l'arraché / Abdellatif Laâbi

Comme un bœuf
refusant de porter des œillères
je tire la charrue de l’espoir
La terre à labourer
est devenue vraiment dure
Les socs n’y résistent pas
Il m’en faut deux, trois
pour creuser un seul sillon

Comme un bœuf
je tire la charrue de l’espoir
en y mettant toute mon énergie
et ma hargne
Je ne me pose plus de questions
du depuis quand et pourquoi
Je tire
parce que je ne peux pas 
faire marche arrière
laisser en déshérence
le champ que le sort m’a désigné
il y a fort longtemps
pour y planter ma brassée de rêves

Comme un bœuf
je tire la charrue de l’espoir
Maintenant
j’ai blanchi sous le harnais
J’ai mal aux épaules, au dos, aux genoux
et plus douloureux encore
à l’âme
Mais je ne peux pas m’arrêter
Nous autres bœufs
on n’a pas le droit aux congés
encore moins à la retraite
On doit tirer sans lever la tête
ou se perdre dans ses réflexions
jusqu’à ce que l’on tombe
d’un coup
pour ne plus se relever

Comme un bœuf
je tire la charrue de l’espoir
Il ne m’a pas échappé
que l’époque où nous vivons est sombre
que l’équilibre de la planète
est en train de se rompre
que des fous
encore plus furieux
que ceux dont nous parlent nos livres d’histoire
prennent ici et là
les rênes du pouvoir
que des tueurs
portant des brassard de sauveteurs
circulent parmi nous
à visage découvert

Comme un bœuf
je tire la charrue de l’espoir
et je refuse toujours
de porter des œillères
Je vois bien que les graines fécondes
que j’espère voir semées après mon labeur
deviennent rares
quand elles ne sont pas trafiquées
et accaparées par les marchands
des fausses espérances
Mais 
comme tout bœuf qui se respecte
je suis buté
et je continue à creuser
sans me plaindre

Parfois
je sens à mon côté
une présence
et sur mon échine
la caresse d’une main secourable
J’entends une voix habitée
me murmurer : Courage, frère
encore un petit effort
Il faut bien finir la tâche !

Et tout bœuf que je sois
j’en suis ému jusqu’aux larmes
Alors je tire
et continuerais à tirer
jusqu’à ce que la nuit
la grande
envahisse ma conscience
 
 
Abdellatif Laâbi, L’espoir à l’arraché, 2015-2017
 
 
(poème transmis par une amie ce matin : en temps de confinement, la poésie circule !)