samedi 25 avril 2020

Ceux dont je ne suis pas amoureuse / Wislawa Szymborska

Remerciements

Je dois beaucoup à ceux
dont je ne suis pas amoureuse.

Le soulagement d’apprendre
que d’autres ils sont plus proches
La joie de ne pas être
le loup de leurs agneaux.

La paix vient avec eux, et la liberté,
choses que l’amour ne saurait donner,
ni prendre au demeurant.

Je ne les attends pas
de la porte à la fenêtre.

Patiente tel un cadran solaire,
prête à comprendre
ce que l’amour ne saurait comprendre,
à pardonner
ce que l’amour ne pardonnerait jamais.

D’une lettre à une rencontre
s’étale non pas l’éternité,
mais quelques jours tout bêtes, ou quelques semaines.

Avec eux les voyages sont réussis,
les concerts bien entendus,
les cathédrales bien visitées,
et les paysages bien distincts,
et lorsque des terres et des océans nous séparent,
il s’agit d’océans et de terres
bien connus de la géographie.

C’est à eux que je dois de vivre
en trois solides dimensions
dans un espace non lyrique, et non rhétorique
doté d’un horizon réel, mobile, comme il se doit.

Ah ils ignorent sans doute
combien ils m’apportent dans leurs mains vides.

« Je ne leur dois rien du tout »
dirait l’amour
à ce sujet ouvert.


Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer,
Traduction du polonais par Piotr Kaminski, Poésie / Fayard, 1996.
Trouvé (avec délices) sur le blog de  Sylvie E. Saliceti.

8 commentaires:

  1. Polish into French into English...Not fair to the poet, but I liked this a lot.

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  2. c'est tellement vrai, j'y reconnais tout à fait mes quinze dernières années :-)

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  3. Cette grande liberté que donne le non-amour-passion!

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  4. Un poème qui surprend, appel à méditer - en creux.
    Merci, Anne, bonne soirée.

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    1. Un texte étonnant, oui, provoquant éloge en creux de l'amitié. D'une très belle subtilité, je trouve.

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  5. C'est très subtil, on comprend bien la "nuance" évoquée... Merci Anne, je vais aller vers cette poétesse, que c'est beau la poésie, je t'embrasse. brigitte

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