samedi 11 avril 2020

Crier de joie dans l'ombre / Raphaël Buyse


"...Va t-il un jour finir, le Samedi saint ?
Parce qu’il faut le dire quand même, cette histoire-là, ce n’est pas du passé. C’est aujourd’hui encore. Dans la vie, il y a des jours où tout semble au point mort. Il ya des jours où notre vie semble s’arrêter, où nos amours n’en peuvent plus, où le travail n’a plus de sens.  On est comme devant un tombeau. Avec le sentiment de ne plus vraiment comprendre et de ne plus bien savoir le « pourquoi » et le « comment » des choses qui nous arrivent. En nous, il y a du doute, de la colère, et mille « pourquoi ? »…


Bien sûr, on garde au cœur le souvenir des belles choses vécues, des bons moments passés et des belles rencontres. Mais là, on sait plus bien. On est « perdu », comme on dit.. C’est un peu comme une nuit. Une nuit profonde.
Cela ne vous arrive jamais, à vous ?


Mes amis, je vous le dis : il faut se méfier des gens qui, tout de suite, cherchent à nous rassurer. Il faut se méfier de ceux qui s’empressent, devant nos questions et nos doutes, de nous donner des réponses toutes faites, apprises dans les catéchismes jaunis. Il faut même fuir les gens qui nous disent, dans une assurance qui ne rassure qu’eux : « ne t’inquiète pas, ça va aller… »

Lorsque des questions graves se posent à nous, lorsque des doutes nous saisissent, c’est une sottise de chercher à les recouvrir d’un coup de vernis acheté à bon compte dans une droguerie religieuse.


J’aime beaucoup Rainer Maria Rilke : c’est un poète. Dans une correspondance qu’il avait avec un jeune poète qui se posait des questions sur lui-même et sur son écriture, Rilke lui répondait :
« Monsieur, vous êtes si jeune, si neuf devant les choses, que je voudrais vous prier, autant que je sais le faire, d’être patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre coeur. Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère.
Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre.
Ne vivez pour l’instant que vos questions.
Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses.»


C’est peut-être ça, l’esprit du Samedi saint.
D’être là.
Assis devant une pierre scellée.
Et de nommer, au creux de notre silence, toutes ces situations fermées que nous vivons et que d’autres vivent autour de nous, tous ces évènements qui nous semblent insensés, toutes ces rencontres, ces affections et ces amours qu’on ne comprend plus très bien ou qu’on ne sait plus vivre…
De les déposer là…
Et qui sait ?…


 » Dans la nuit, chantait un vieux croyant, je me souviens de toi. Et je reste des heures à te parler. Je me souviens qu’un jour, tu es venu à mon secours.
Alors je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
»


Crier de joie.
Dans l’ombre.


La joie dans l’ombre : quel étrange mystère…"


En ces temps, je suis extrêmement touchée par la force et la simplicité des mots du père Raphaël Buyse. Ses mots viennent résonner avec ce que je vis, moi, de ce confinement : ce sentiment de perte, d'absence à soi-même. L'intuition qu'il s'agit d'être patient... Ici, un (long) extrait de sa méditation d'aujourd'hui, samedi saint, veille de Pâques. On la trouve sur son blog : 
https://raphaelbuyse.wordpress.com/2020/04/11/circulez-il-ny-a-rien-a-voir-2/



8 commentaires:

  1. Et la viis de Rilke...extaordinaire🙂🌈

    RépondreSupprimer
  2. Réponses
    1. Je trouve qu'il fait échos aux préoccupations dont on parlait ces jours derniers, à cette "dissonance cognitive" éprouvante...

      Supprimer
  3. Lettres à un jeune poète, je l'ai lu et relu avec bonheur.
    Aimer nos questions et ne pas y chercher de réponses immédiates...merci beaucoup Anne, un beso

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi aussi, et je trouve que lu dans ce contexte il prend une force différente.

      Supprimer
  4. Quel magnifique texte qui nous ramène à l'essentiel. Ne pas se précipiter dans des idées toutes faites, être patient, croire en l'espérance d'un renouveau. Demain, la pierre sera roulée et Jésus retournera sur les chemins, diffuser la bonne parole. Que l'on soit croyant ou pas, la symbolique est forte. Bises alpines...de loin.

    RépondreSupprimer
  5. On pourrait croire que Rilke avait écrit ce texte pour la situation actuelle. Je suis toujours surprise par l'universalité de ce que vivent les hommes...
    "Ne vivez pour l'instant que vos questions". En ce moment,il n'y a que des questions, pas une personne au monde, pas un chercheur n'a de réponse. Aussi quelle sagesse dans cette injonction!
    Merci Anne de nous offrir les paroles de Raphaël Buyse. Je t'embrasse. Claudie.

    RépondreSupprimer