Dans la clairière à droite, passée la
ligne à haute tension, elles étaient
là. Un tapis de cloches jaunes jaillies parmi les ronces, courtes sur tige,
trapues, corolles lourdes, infiniment délicates pourtant, avec des
transparences de vélin. Semées en nappes par quelque Créateur prodigue, elles
ondulaient à perte de vue entre les petits chênes.
Je me suis avancée, oubliant très vite le
chemin.
Je me suis penchée pour les cueillir.
C’est là que ça m’a saisie, à croupetons
dans la terre humide, les mains piquées d’épines – les ronces sont acerbes – le
parfum de la terre m’emplissant les narines.
Le vent m’a traversée.
Les petits nuages joyeux ont roulé dans
mes veines, droit jusqu’au coeur.
Et je suis devenue jonquille, épine et
arbrisseau, et le printemps m’a bénie.
Être là, enfin.
Au présent.
Quand s’abolissent les frontières qui me
séparent du monde.
Quand reflue ma conscience, ne laissant
que l’instant jaillir comme une source. Être là comme un brin d’herbe parmi
d’autres brins d’herbe, malmené par l’hiver, bruni par la neige, secoué par le
vent. Être là, sans plus de quand ni
de pourquoi.
M’échapper à moi-même.
Et mystérieusement, me rejoindre.
« On attrape la grâce, écrit Annie Dillard, comme un homme emplit sa coupe sous une cascade. »
[extrait de Sagesse de l'Herbe, Transboréal, 2018]
Coucou Anne. Mais que c'est beau, "devenir jonquille, épine et arbrisseau"! Comme si le printemps nous traversait, secouait les affres de l'hiver et nous permettait de sortir de l'hibernation. C'est un peu ce que je ressens ces jours-ci. Tu le comprendras demain dans mon prochain billet. Merci pour cet instant printanier qui me traverse de toutes parts. Bises alpines.
RépondreSupprimerVivre la saison présente, vivre la Terre, vivre la Nature... c'est une richesse et une évidence, on se demande pourquoi l'on s'égare si souvent. Tes mots sont magnifiques, merci Anne. Bises. brigitte
RépondreSupprimerTrès beau texte... 😀
RépondreSupprimerc'est un petit livre qui m'a enchanté et que je garde précieusement
RépondreSupprimer