samedi 16 novembre 2019

Une lecture... / Marion Muller-Colard


"Peu importe l'heure à Sylvia, et d'ailleurs l'heure importait peu à Bastien. Parfois oui, si tôt le matin, elle l'avait déjà habillé et on pouvait voir leur ombre commune ramper sur les pavés. Ces deux-là glissaient sur le petit matin et tous les matins étaient de givre, prêts à casser, résistants pourtant. Les aubes étaient une fine couche de glace émergée de la nuit à la surface du jour, trois vrilles de merle et elle rompait. Alors jaillissait la nécessité. Les regards, les échanges humains, les doléances, les listes, l'intrusion permanente des choses à faire qui cognent à coup de bélier dans le noyau dur de l'âme, cet endroit à soi qui se passerait si volontiers de choses à faire. Les promenades matinales de Sylvia et Bastien ne répondaient à aucune loi, aucune nécessité, elles étaient leur poche d'air, pure gratuité. Étaient-ils un seul corps ou bien deux ? Avait-on jamais vu si bel accord de cadences dans une promenade ?..."


J'ai déjà évoqué en ces pages Marion Muller-Colard, théologienne protestante, pasteur, écrivaine et auteure (cette énumération est, ce n'est pas un hasard, un défi aux règles de féminisation des noms de métiers) de livres qui me bouleversent chaque fois : L'autre Dieu, Le plein silence, L'intranquillité.  Je ne l'avais jamais découverte romancière. C'est chose faite avec ce roman d'une force et d'une subtilité étonnantes paru l'an dernier et que je viens de terminer.

Le jour où la Durance : une mère, Sylvia, perd son fils. Il a trente-sept ans, il s'appelle Bastien. Il était très lourdement handicapé. Elle voudrait se persuader que rien ne change, que ce n'est qu'un degré supplémentaire d'une absence depuis longtemps consommée, et pourtant... Du dimanche au jeudi, tandis que la Durance sort de son lit et recouvre la terre, les souvenirs affluent, débordent et Sylvia, dans les quatre jours qui séparent le décès de l'enterrement, part à la redécouverte de sa propre histoire.

Le jour où la Durance, M. Muller-Colard, Gallimard (Sygne), 2018, 180 p.

Sur Marion Muller-Colard dans ce blog, c'est également ICI.

7 commentaires:

  1. Coucou Anne. Je vais noter cette référence car le petit extrait que tu nous donnes à lire me plaît infiniment. Une mère qui se dévoue pour son fils. Ensemble ils partent à la découverte de l'aube qui s'installe. Unis, heureux, proches. Merci et bises alpines sous la neige.

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  2. Je vois que vous aussi, Marion Muller-Collard vous touche. Ce qu'elle écrit est très puissant.
    Bonne journée.

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  3. Cela semble et doit être fort ! Merci Anne, partager un peu d'humanité est si beau. Bises. brigitte

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  4. Très bel extrait, merci.
    (Pourquoi "auteure" et pas "pasteure", au fait ?)

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  5. Merci Anne pour cet extrait de Marion Muller-Colard, elle est toujours d'une clairvoyance si talentueuse !

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