En écho au texte de Frédérique Germanaud proposé il y a quelques jours et qui a suscité de riches échanges sur ce blog et par courriel, je reçois d'Odile ce beau texte de Joël Vernet, extrait de Carnets du lent chemin, copeaux :
"Plus tard, de manière insidieuse, la vie a de
nouveau basculé dans le monde actuel. Le monde que nous connaissons, tel qu’il
est devenu et tel qu’il promet d’être ou de devenir, ouvert sur le culte de
l’argent-roi, sur le pouvoir absolu et aveugle des gouvernants de nos pays. Le
consumérisme, la mondialisation et la barbarie font horreur au poète. Qui en
appelle à l’insurrection. Étranger se sent-il. Depuis les origines. En marge
d’une société qu’il voue aux gémonies. Et davantage encore depuis qu’une frénésie
compulsive s’est emparée de l’humanité, la conduisant droit au désastre.
Que faire lorsque l’on s’est exilé en soi-même, sinon
retourner à l’essentiel ? Renouer avec le ciel et les nuages. Avec « la beauté
primitive du monde ». Avec le bestiaire amical et paisible qui anime le jardin.
Merles noirs, mésanges et rouges-gorges. Sauterelles et lézards. Escargots et
lucioles. Et toujours revenir vers la maison natale qui l’attend, lui le
vagabond, le nomade, le gitan ; la maison immobile, inchangée, chargée de
présences et de souvenirs. Gardée par la mère qui jamais ne sait quand son fils
va revenir. « Tu n’as jamais été là pour tes jours d’anniversaire, toujours à
l’étranger, loin de nous », lui dit-elle lorsqu’il surgit à l’improviste.
Et, qui va de pair avec l’errance du poète,
l’écriture. Nourrie de ces autres vagabondages que sont les lectures. Une
écriture vitale, qui tient le poète au corps et au cœur. Fidèle à son être,
consubstantielle à son existence. Écriture de la vie, dégagée de toute mainmise,
de toute superficialité, de toute ambition personnelle, de tout calcul, de
toute richesse. De toute recherche. Écriture du regard, du fragile et du
minuscule. Écriture tissée de silence et de solitude. Plus de cinq cents pages
d’une écriture vivante pour dire ce qui happe ce qui taraude ce qui révolte ce
qui hante jusqu’à l’angoisse et jusqu’au désespoir. Pour dire aussi les joies
modestes qui soignent et qui apaisent."